Dans le cadre de mon projet d’orientation, j’ai rencontré et interrogé deux professionnelles des métiers du livre. Une bibliothécaire responsable de la bibliothèque d’Ingrandes (44), et une bibliothécaire responsable du secteur musique de la médiathèque d’Ancenis (44), toutes deux du réseau de bibliothèques Biblio’fil.
Entretien avec une bibliothécaire du réseau Biblio’fil (44)
Pouvez-vous présenter votre métier ?
Je suis bibliothécaire. Mon métier a pas mal évolué, avant j’étais bibliothécaire dans une commune, donc une seule structure, maintenant je suis bibliothécaire dans une communauté de communes, et donc beaucoup de bibliothèques. La communauté de communes du territoire est la COMPA (Communauté de Communes du Pays d’Ancenis). Cela change effectivement mon métier, déjà parce que nous ne sommes plus rattachés à une commune, une bibliothèque et à ses habitants, mais à tous les habitants de la communauté de communes. Par exemple, un habitant d’Ancenis peut emprunter à Ancenis et rendre à Varades. Maintenant, nous sommes aussi une plus grosse équipe. Avant je ne travaillais qu’à la bibliothèque de Varades, maintenant je peux travailler dans cinq bibliothèques différentes. Actuellement, je suis responsable de la bibliothèque d’Ingrandes. Mais cela ne m’empêche pas d’être présente sur d’autres sites quand nous en avons besoin, je bouge donc beaucoup plus qu’avant. Cela peut être très fatiguant. Depuis que nous sommes devenus une bibliothèque intercommunale, le gros avantage pour les lecteurs est que les livres circulent sur tout le territoire. Nous avons une navette qui circule sur toutes les bibliothèques et qui transporte les réservations. Mais ça, nous le faisons aussi parfois. Par exemple, ce soir je retourne sur Ingrandes pour une animation, donc je vais faire la navette des réservations.
Dans le métier de bibliothécaire, nous faisons énormément de choses. Nous avons une part où nous faisons de l’animation tous publics, pour les groupes constitués, donc les classes, les relais petites enfances, les structures de la commune, etc. Tous les partenaires qui veulent travailler avec nous, nous sommes censés pouvoir leur fournir un service et faire des animations avec eux. Notre principale activité reste quand même les écoles, régulièrement nous accueillons des classes, et nous proposons des parcours qui entrent dans un dispositif qui s’appelle EAC ( Education Artistique et Culturelle). Ce dispositif est quelque chose de politique, car nos chefs, ce sont les élus du territoire, donc nous travaillons au services de la population, aussi dans un cadre politique.
Le cœur de notre métier est aussi bien sûr d’acheter et de traiter des documents. Pour servir un maximum de personnes, nous devons acheter un maximum de documents, différents types : romans, BD, musique, revues, etc. Cela pour satisfaire leur besoin culturel, d’apprentissage, de curiosité etc. Les évader également, nous avons un rôle pour que les gens puissent se déconnecter. Ce n’est donc pas seulement acheter les documents, mais aussi les traiter. En bibliothèque, nous prêtons les documents, nous ne les vendons pas, c’est ce qui fait la différence avec la librairie. Le traitement est donc une grosse part de notre travail, qui se fait en interne, pas en service avec le public. Et pour cela, il faut une formation très pointue. Nous utilisons un logiciel de traitement des documents, dans lequel nous enregistrons les livres pour qu’ils puissent être traités. C’est le catalogage. Il faut également coter les documents, pour qu’ils soient repérables dans n’importe quelle bibliothèque. Sur le réseau nous avons à peu près 230 000 documents. Il faut pouvoir les ranger dans toutes nos structures, pour cela il est impératif d’avoir un rangement et un classement cohérent. Cela fait partie de notre boulot de mettre des étiquettes. Il y a aussi l’équipement, les documents doivent être protégés, ils sont prêtés à des milliers de personnes. Il faut donc pouvoir les garder en bon état assez longtemps, puisque en général les documents coûtent très cher. Nous avons de la chance de pouvoir être aidés par des bénévoles, cela fait beaucoup parti de notre métier, surtout en milieu rural. Ils font partie de notre quotidien parce qu’ils nous aident dans plusieurs de nos tâches. Notamment l’équipement, parce que nous n’avons pas le temps de couvrir les livres. Mais aussi les prêts-retours et l’accueil de classe.
Une autre grosse part de notre travail c’est le rangement. Je n’arrête pas de dire : “ Une bibliothèque qui est mal rangée, ce sont des documents qui sont perdus”. Cela fait vraiment partie de notre métier, et pour cela, il faut avoir une grande rigueur. En règle générale, dans le métier de bibliothécaire il faut être rigoureux.
Il y a également une partie très physique. Tous les stagiaires que j’ai accueillis m’on dit “ Je ne pensais pas qu’être bibliothécaire serait aussi physique!”. Nous piétinons beaucoup, cela dépend de la taille des bibliothèques mais quand nous allons chercher les livres, les ranger, les déplacer, nous faisons beaucoup de manipulation, il faut être en forme.
Qu’est ce qui vous plaît le plus ou le moins, dans le métier de bibliothécaire ?
C’est un métier que j’ai choisi, ce n’est pas du tout une reconversion. Je le fais depuis maintenant 15 ans, et c’est un métier que j’ai toujours aimé faire. Ce que j’aime, c’est déjà que nous voyons plein de monde, j’adore accueillir les classes, j’adore les gens. Je pense qu’il faut aimer le contact avec les gens pour pouvoir faire ce métier, parce qu’il y a aussi un aspect social. Nous sommes fonctionnaires et nous devons accueillir tout le monde sans discrimitation. Donc il faut avoir une intégrité développée. Si on n’aime pas le contact avec les gens, ni travailler en équipe, il ne faut pas être bibliothécaire.
Et puis nous transmettons des choses, cet aspect me motive énormément. La transmission de savoir, mais pas uniquement, la transmission du goût de lire aussi. En général, les bibliothécaires sont très militants, ce sont des gens qui ont une volonté de partager le savoir, et qui ont une haute estime de la culture. Ils ont foi en la culture, se disent qu’elle est fondamentale, et qu’elle peut vraiment aider les gens. Mon plus grand bonheur, est de voir un enfant à qui je lis une histoire, me regarder avec des yeux émerveillés.
Il n’y a pas beaucoup de choses que je n’aime pas dans ce métier. Depuis que nous sommes en intercommunalité, cela est quand même un peu plus difficile parce que nous bougeons beaucoup et nous avons des charges lourdes. La maladie du bibliothécaire c’est l’épicondylite, et des problèmes au niveau des poignets à force de faire toujours le même geste.
C’est un métier qui est sans cesse en évolution, donc il faut souvent se former, se reformer. Cela peut être vu comme un avantage et comme un inconvénient. Cela demande aussi d’être au taquet sur les nouveautés. C’est un métier où il faut se nourrir, j’entend, intellectuellement. Être curieux c’est important. Si on n’est pas curieux, ce n’est pas la peine d’être bibliothécaire. C’est aussi une contrainte, nous sommes un peu obligés de nous tenir au courant des choses. Nous accueillons des gens, et ces gens sont le reflet de la société, donc il faut aussi s’adapter à cette société. Nous le faisons notamment en achetant des livres qui sont plus en accord avec la société actuelle par exemple. Après ce n’est pas un métier qui est cher payé, cela dépend des collectivités.
Un conseil à dire à quelqu’un qui voudrait faire ce métier, ou une remarque en générale ?
J’encourage les gens à aller vers ce métier. Il faut renouveler. Un conseil c’est : “si tu veux le faire, fait le, de toute façon c’est ton choix et si tu veux le faire tu y arriveras.” Mais il faut savoir qu’il n’y a pas beaucoup de postes. C’est un métier qui plait beaucoup et qui est bouché. Il faut se battre. Le chemin peut parfois être compliqué. Puisqu’ il faut d’abord, faire une école intéressante, passer le concours, et ensuite, être recruté comme dans le privé, avec une lettre de motivation et un entretien. C’est donc vraiment un parcours qui peut s’avérer être compliqué. Mais nous avons besoin de passionnés pour transmettre et pour rendre la société meilleure.
Il y a une personne qui travaille dans le théâtre qui m’a dit “ Tu fais je crois, le métier le plus important au monde. Je pense que tu ne te rends pas compte du rôle que vous avez en tant que bibliothécaire”. Quand il était petit, il allait a “L’Heure Joyeuse” une des premières bibliothèques pour les enfants, et ça l’a marqué. Il a dit qu’il s’en souviendrait toute sa vie, et que c’est pour ça qu’il faisait du théâtre aujourd’hui, qu’il écrivait des pièces. Je pense que je ne m’étais pas rendu compte à quel point mon métier était important.
Si tu es motivée, il faut y aller. Moi ce qui me motive c’est la volonté de transmettre, et puis de s’enrichir au contacte des gens aussi, tu t’enrichis de tout dans ce métier. Même si parfois, comme les gens sont le reflet de la société, il y a des usagers qui sont irrespectueux, pour ça il faut avoir un caractère qui soit plutôt rond, et ne pas avoir d’égo. Nous avons besoin de ce genre de qualités parce que quand quelqu’un nous parle très mal, nous devons pouvoir garder notre calme.
Entretien avec une bibliothécaire, secteur musique, du réseau Biblio’fil (44)
Pouvez-vous vous présenter rapidement?
Je travaille ici [ médiathèque de la Pléiade, Ancenis (44)] depuis les années 2000 environ. Je travaille sur le secteur musique, je gère l’espace musique, je m’occupe des achats, et je m’occupe des évènements qui sont liés à la musique. Nous sommes en réseau avec d’autres bibliothèques, donc je fais aussi partie du groupe musique sur le réseau.
Qu’est ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
J’ai fait des études de sociologie, un peu de lettres, puis j’ai fait un DUT en documentation. J’ai travaillé un peu dans le privé, à ce moment-là j’étais à Paris, et comme je ne trouvai pas de travail j’ai fait une formation qu’on appelait le “certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire.” C’était une formation professionnelle, alors que maintenant ce sont des concours. J’ai pris la spécialité musique, parce que c’était un domaine que je ne connaissais pas. J’avais fait de la documentation et puis j’avais un intérêt pour la culture.
Qu’est ce qui vous plaît dans votre métier ?
Alors il y a différentes choses. Déjà, le fait que ce soit un service culturel et public, parce que je tiens à ça. Ensuite, l’échange avec le public, et les collègues. Il y a aussi le fait que ce soit un métier où l’on peut toujours s’auto-former, compléter ses connaissances. Ce que je trouve intéressant, particulièrement ici, c’est que c’est une petite équipe, dans une petite ville, Cela permet d’avoir des rapports avec le public un peu personnalisés. Et d’avoir un peu d’échange, plus que dans un grand lieu où c’est plus anonyme. Après, j’aime travailler dans le domaine culturel. Comme c’est la fonction publique, nous sommes fonctionnaires, c’est… sécurisant. Et puis c’est aussi un univers où on a toujours des choses à développer, à améliorer, même si nous n’en avons pas forcément le temps.
Ce que j’aime beaucoup aussi, c’est faire des évènements musicaux, qu’il y ait des gens qui viennent jouer, des choses comme ça. C’est une autre partie de notre métier, en dehors du côté documentaire. Que ce soit un lieu de rencontre ou d’événements culturels, au-delà de l’emprunt des documents, et caetera.
Qu’est ce qui, a l’inverse, vous déplaît dans ce métier ?
Cela demande quand même d’avoir une disponibilité, nous travaillons tous les samedis ici. Mais c’est spécifique à ici. Je trouve cela un peu lourd, parce que je me sens, des fois, en décalage. Après nous sommes en réseau, cela veut dire qu’il y a des positions de réseau, alors que la médiathèque d’Ancenis a quand même certaines spécificités, que ne va pas du tout avoir la bibliothèque de Saint Mars la Jaille, par exemple. C’est le fait d’une organisation en réseau, où sur certaines choses il faut être synchro, il faut qu’il se passe la même chose partout, alors qu’on a des publics et des objectifs différents. Depuis que nous sommes en réseau, cette recherche d’uniformité, alors que les réalités elles sont un peu différentes, peut me gêner.
Est ce que vous aviez des attentes, par rapport à votre métier, quand vous êtes arrivée, mais qui au final, n’étaient pas là dans la réalité ?
Je vais faire un petit retour en arrière, peut-être sur cinq ans, parce que c’est trop vieux dans mon esprit. Je pense que ce qui peut me gêner, c’est le fait que dans une structuration comme nous sommes actuellement, il y a beaucoup de strates de décision, ce qui fait qu’elles sont longues à prendre. Je suis d’une nature un peu impatiente, donc je pense que c’est un peu lié à ça. Et puis il y a une deuxième chose, en début de carrière, je croyais que quelqu’un qui a une certaine culture musicale, nous allions pouvoir l’aiguiller sur d’autres choses. Mais je n’y crois plus du tout. Dans le public il y a des gens qui s’intéressent à tous types de musique, et d’autres qui ont une culture spécifique et rien d’autre ne les intéressent (mais dans les livres c’est exactement pareil). Donc ça c’est une illusion que j’avais un peu avant, et que j’ai plus tellement maintenant. En plus en musique, c’est un peu délicat parce que c’est un secteur qui est quand même déclinant actuellement, les gens n’écoutent quasiment plus de CD. Alors que quand j’ai commencé ma carrière, c’était la grande période des espaces musique dans les médiathèques. Mais on fait avec, moi par exemple je suis de moins en moins sélective, dans mes achats notamment. Quand un public demande un style que je n’ai pas pour habitude de prendre, je vais tout de même acheter. Parce que cela permet qu’ils reviennent.
Est ce que vous pensez qu’il y a des qualités particulières à avoir pour ce métier, qui serait un peu « indispensables »?
Je dirais qu’il y a la curiosité et l’ouverture d’esprit. Je trouve que c’est bien aussi d’avoir le sens du public, d’avoir envie d’une relation au public. Et puis c’est aussi un travail en équipe, donc d’avoir l’esprit d’équipe. Je pense qu’avec différents profils on peut faire ce métier. Évidemment nous avons des techniques bibliothéconomiques, mais bon, pour moi, travailler sur un logiciel spécialisé, cela s’acquiert. Il faut également connaître le territoire local et puis essayer d’être identifié comme un lieu de culture sur un territoire. Essayer de capter les gens, qu’ils viennent.
Est ce que vous pensez qu’il y a des caractères, des traits spécifiques de la personnalité qui ferait que cela ne serait vraiment pas possible de travailler dans ce genre de lieu ?
J’avoue que je n’ai jamais réfléchi à ça. Je pense qu’il faut quand même avoir une appétence pour le public. Quelqu’un qui est complètement fermé, qui n’a pas du tout envie de communiquer avec des gens, ça ne me semble pas tellement possible. Il faut également arriver à moduler en fonction des situations. Ce n’est pas comme si nous étions dans notre bureau à faire de la comptabilité toute la journée. Il y a quand même, dans notre temps de travail, beaucoup d’accueil public, ici en tout cas. Parce que dans les grosses boîtes c’est structuré différemment. Il y a les gens qui font l’accueil, ceux qui font les achats. Mais dans une taille moyenne, nous on doit être à peu près huits, chacun fait un peu de tout.
Est ce que pour finir, vous auriez un conseil à donner à quelqu’un qui voudrait faire ce métier ? Ou alors autre chose à rajouter.
Je pense qu’il faut être persévérant, étant donné que l’accès est par concours maintenant. Et puis je pense qu’il faut maintenir une curiosité. Après je pense qu’il y a beaucoup de gens qui cherchent à faire ça. Mais peut être que certaines fois on oublie qu’il y a des choses qui sont un peu pénibles. Le rangement par exemple c’est quelque chose qui est indispensable et qui n’est pas forcément très amusant. Je pense que les gens extérieurs ont une représentation biaisée du métier, l’impression qu’on passe notre temps à lire. Ici on fait un peu tout, ce qui est intéressant aussi, ça veut dire qu’on a une sorte de polyvalence. Mais ça veut dire qu’au niveau des compétences c’est bien d’être compétent dans différents domaines.